Interviews experts MM : 3 questions à… Patrick Collignon

Publié le 25 septembre 2025 par Yuna MIOSSEC

Interviews experts MM : 3 questions à… Patrick Collignon




« Ne pas nourrir le jeu toxique, c’est déjà reprendre la main »

Les comportements toxiques au travail ne se résument pas aux cas extrêmes de harcèlement. Ils prennent souvent des formes plus insidieuses : pressions, culpabilisation, fausse victimisation, divisions dans l’équipe… Comment les repérer ? Comment poser ses limites sans alimenter l’escalade du conflit ? Auteur, conférencier et mentor de dirigeants, Patrick Collignon livre des clés concrètes pour comprendre et déjouer ces logiques.

De plus en plus de managers et collaborateurs disent se sentir exposés à des dynamiques toxiques au travail. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Derrière ce terme devenu courant se cachent moins des « personnes toxiques » que des dynamiques relationnelles délétères. Insistance excessive, manipulation émotionnelle, mise en concurrence artificielle des collègues… Autant de signaux qui créent un climat de tension et grignotent peu à peu la confiance collective.

Le problème, c’est que ces comportements sont rarement spectaculaires : ils s’infiltrent dans le quotidien, jusqu’à ce que la relation de travail devienne épuisante. Comment reconnaître ces logiques cachées ? Quels réflexes adopter pour ne pas tomber dans le piège ? Et surtout, comment poser des limites claires sans entrer dans une spirale de confrontation ? L’auteur de l’ouvrage de référence Le management toxique Harcèlement, intolérances, missions impossibles... Comment s'en sortir ? (Eyrolles), partage son regard et ses conseils pratiques.







1. Vous parlez de « logiques cachées » derrière les comportements toxiques (territoire, influence, valeurs). Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?

Un comportement devient toxique à partir du moment où il ajoute de la pression inutile à la tâche. On se retrouve face à quelqu’un qui veut absolument obtenir ce qu’il veut, coûte que coûte, sans accepter le « non ». Peu importe les arguments, la personne mettra toute la pression nécessaire : intimidation, insistance, victimisation, culpabilisation… Ces techniques, très émotionnelles, finissent par épuiser l’autre.

Derrière, il y a deux grandes logiques. La première, c’est une incapacité à gérer la frustration : certains ont tellement appris à obtenir ce qu’ils voulaient que renoncer leur est insupportable. La seconde, c’est l’utilisation du collectif à leur profit : ces personnes affichent des objectifs alignés mais poursuivent en réalité des intérêts personnels, souvent au détriment du groupe. Dans une équipe, cela crée tension et peur diffuses, comme une hiérarchie implicite fondée sur la loi du plus fort.


2. Les comportements toxiques sont parfois subtils, presque invisibles. Quels signaux faibles un collaborateur ou un manager peut-il apprendre à repérer pour ne pas se laisser piéger ?

Le premier réflexe est de se faire confiance. On n’est pas « fou » lorsqu’on sent qu’il y a un décalage. Ces situations reposent souvent sur une manipulation de la réalité : « Mais non, je n’ai jamais dit ça », « Ce n’est pas ce qu’on avait convenu »… Si cela se répète, il faut ouvrir les yeux : ce n’est pas un hasard.

Un autre signal typique est le « diviser pour régner ». La personne va se plaindre de A auprès de B, puis de B auprès de A, créant des conflits artificiels. Elle joue aussi sur le registre émotionnel : c’est ce qu’illustre le triangle de Karpman (victime, sauveur, bourreau). Mais dans les comportements toxiques, la « fausse victime » déjoue le schéma : elle ne laisse pas d’autre option que de la sauver, et si vous refusez, elle bascule immédiatement en bourreau. Ce détournement est très puissant car il brouille les repères relationnels et enferme l’autre dans une dynamique manipulatoire. La clé, là encore, est de revenir au factuel et à son ressenti pour ne pas se laisser piéger.


3. Une fois qu’on a identifié un comportement toxique, comment reprendre la main sans tomber soi-même dans l’escalade du conflit ou de la manipulation ?

La première étape, c’est de ne rien prendre personnellement. Le comportement toxique n’a rien à voir avec vous : la personne cherche simplement à obtenir ce qu’elle veut, en utilisant les leviers disponibles. Plus vous restez émotionnel, plus vous êtes une proie facile.

Ensuite, il faut poser un « non » clair et stable. Tant que vous ne fixez pas de limite, la personne continue : pourquoi s’arrêterait-elle, puisque ça marche ? Dire non fermement brise le cercle vicieux. Enfin, il est utile de regarder la situation comme une pièce de théâtre : prendre du recul, observer les rôles joués, et comprendre que la colère, les larmes ou les grands discours ne sont que des mises en scène pour créer de la pression.


Question bonus Maison du Management : quelle est votre stratégie concrète pour poser vos limites face à un comportement toxique ?

Pour moi, la stratégie gagnante, c’est refuser d’entrer dans le rapport de force. Quand quelqu’un met la pression, je peux reconnaître ce qui se joue intérieurement, mais je choisis de ne pas nourrir ce jeu. Plus je suis aligné avec moi-même, moins j’ai besoin de reconnaissance externe, et moins ces tentatives fonctionnent.

J’utilise aussi un petit décalage stratégique : quand une personne se pose en victime, au lieu de jouer le sauveur comme attendu, je me positionne moi aussi en victime. Le scénario ne fonctionne plus et la personne se méfie. Enfin, j’applique parfois leurs propres règles : s’ils procrastinent volontairement, je leur rends la pareille. Ce renversement brouille les cartes, les déstabilise, et les pousse à chercher une autre cible.


Propos recueillis par Laure Girardot