Interviews experts MM : 3 questions à… Hélène Schetting
Interviews experts MM : 3 questions à… Hélène Schetting
« Le “Qui” a été remplacé par le “Combien” »
Autrice, mentore de dirigeant·es, conférencière et enseignante en management pendant 15 ans, Hélène Schetting milite pour un retour du facteur humain au cœur des organisations. Dans son ouvrage P*tain de facteur humain* Burn-out, greenwashing, faux semblants... et si on parlait vrai ? (Gereso), elle plaide pour une performance plus lucide, reliée et durable. Rencontre avec une voix qui invite à repenser le leadership à l’aune du lien, du sens et de la conscience.
1. Vous dites que l’entreprise s’est peu à peu coupée de son facteur humain. Qu’est-ce qui, selon vous, a conduit à cette déconnexion entre performance et humanité ?
L’humain, c’est notre quotidien, c’est ce que nous sommes. Pourtant, les entreprises s’en sont progressivement éloignées, non par malveillance, mais par une succession de micro-glissements anodins. D’abord, l’obsession du mesurable : quand tout devient KPI, la relation humaine devient accessoire. On gère des dossiers plutôt qu’on ne manage des individus, et le “Qui” a été remplacé par le “Combien”. Ensuite, la vitesse est devenue religion : aller vite à tout prix, quitte à confondre urgence et importance. Or, l’intelligence émotionnelle, souvent sacrifiée, est le système d’alerte du leader. Sans elle, on épuise les équipes avant même d’avoir clarifié le cap. Enfin, la fragmentation du travail a dissous la vision d’ensemble : chacun tient son boulon sans voir le pont. Pour recréer de la cohérence et du sens, le leadership doit redevenir “reliance” : relier les personnes, les points et les efforts dans une trame humaine et durable.
2. Dans un contexte de burn-out, de désengagement et de perte de sens, quelles sont les premières illusions managériales à déconstruire ?
Pour sortir du trio infernal burn-out / désengagement / perte de sens, il faut d’abord déconstruire quelques croyances.
Première illusion : croire que la motivation est individuelle. Non, elle est contextuelle. Le rôle du manager est de créer les conditions propices : autonomie réelle, feedback utile, justice perçue.
Deuxième illusion : penser que le care affaiblit la performance. C’est l’inverse. Le care réduit les coûts cachés de la peur et renforce l’envie d’avancer.
Troisième illusion : croire que “encore un outil et ça ira”. Les outils accélèrent ce qui est sain et aggravent ce qui est bancal. La bonne conversation, au bon moment, reste le meilleur “logiciel” à ROI immédiat !
Dernière illusion : penser que le sens descend d’en haut. Le sens se co-construit localement, par des arbitrages expliqués, des renoncements assumés et des rituels qui rendent l’impact visible. C’est là que le leadership gagne en légitimité.
3. Vous utilisez la maïeutique comme outil de transformation. En quoi le fait de “se poser les bonnes questions” peut-il réellement changer les pratiques managériales ?
La maïeutique, c’est l’art d’accoucher les esprits. Ce n’est pas une coquetterie philosophique, c’est un outil de leadership. Une question bien posée permet de décider plus vite, de clarifier l’instable, de muscler la co-responsabilité.
Questionner, c’est produire de la clarté. Par exemple : “De quoi as-tu besoin pour réussir ?”, “Qu’est-ce qui est sous ton contrôle ?”. Ces questions déplacent l’équipe du registre de l’attente vers celui de l’agentivité. Les “after-action questions” sont tout aussi puissantes : “Qu’avons-nous tenté ? appris ? Que change-t-on lundi ?”
Elles transforment l’erreur en apprentissage collectif et ancrent une dynamique de progrès continu. La maïeutique, c’est donc une discipline du lien : elle engage chacun à penser, à ressentir et à agir, au lieu de subir.
Question bonus Maison du Management : Quelle est votre propre stratégie pour rester alignée et préserver le facteur humain dans un environnement très “business” ?
À titre personnel, je veille à garder l’ouverture du cœur et la conscience de soi, convaincue qu’il suffit parfois d’une personne pour changer la dynamique. Concrètement, cela repose sur quatre piliers :
Un contrat interne clair : santé psychologique, clarté des rôles, développement des compétences critiques.
Des rituels de lien, comme les “revues de charge” ou les “60 minutes hors bruit” pour penser et arbitrer.
Des métriques humaines au même rang que les KPI business : clarté du cap, soutenabilité de la charge, qualité de la coopération.
Enfin, une éthique d’exécution : dire ce qu’on fait, faire ce qu’on dit, expliquer ce à quoi on renonce. C’est ainsi que le leadership gagne en crédibilité, et les équipes, en énergie.
Propos recueillis par Laure Girardot
